Médi-um ? Un autre magicien ? ○ Jin-Ho Cho

c'est peut être glamour auprès des 9-13 ans, être médium, quand on croit encore aux fantômes et à toutes ces choses là et que la vie semble emplie de mystères à percer, mais quand on est adulte, ça l'est franchement moins. enfant, c'était même pas ton rêve, de finir comme ça, alors quand tu arrives à l'agence pour déballer tout un tas de lettres non pas de fans mais de ton conseiller bancaire et de ton propriétaire, tu soupires un peu.

tu avais flairé un filon en choisissant ce boulot. avec le nombre de décès qui augmentent, beaucoup de crédules et de superstitieux se ruent dans les bras d'escroc comme toi, mais encore faut-il arriver à les attirer. à la base, tu voulais une planque, quelque chose pour te la couler douce tranquillement sans être poursuivi tous les matins par une berline noire aux vitres teintées.
sauf que... s'il n'y a pas de clients, tu es condamné à mourir de faim et vivre à la rue, donc il faut toujours trouver le moyen de se démener pour appâter le chaland avec des idées toutes plus ridicules les unes que les autres - des réductions, des distributions de tract devant les supérettes, des annonces sur internet, des apparitions publiques... tout est bon, mais pas ce matin. il n'y a pas un chat à l'horizon et tu n'as pas encore l'énergie nécessaire pour courir après les pigeons potentiels, tu as tout juste de quoi t'en griller une comme un loser, seul derrière ton bureau, une main autour d'un thé refroidi depuis bien longtemps; la brise souffle à peine à travers la fenêtre entrouverte.

elle souffle bien trop peu pour être responsable de l'ouverture soudaine de la porte, qui te fait bondir de ton siège. pendant quelque secondes, tu sens ton cœur se serrer douloureusement, te rappelant que tu n'es plus dans ta prime jeunesse comme ta mère te le dis si souvent. mais dieu merci, ton heure n'a pas encore sonnée (tu ne veux pas l'avouer mais mourir à cause d'une porte qui claque, c'est vraiment la honte).

─ j'ai eu peur...

tu écrases ton mégot dans le cendrier rempli qui trône sur le bureau et tu te lèves lentement pour refermer doucement la porte, puis la fenêtre ouverte, après avoir balayé du regard l'agence minuscule. c'est sûrement un coup du vent. tout seul, tu peux parler comme tu veux sans te sentir embarrassé d'être déjà un vieux qui radote à voix haute, alors tu ne t'en prives pas quand tu as besoin de te rassurer. surtout devant quelque chose d'incompréhensible comme cette porte qui s'ouvre alors qu'il n'y a pas le moindre courant d'air. et pourquoi la température de la salle semble être descendue de quelques degrés en quelques secondes ?

─ je vais encore devoir réparer moi même la clim... c'est pas le moment.

peut être que le yaourt dans le frigo était périmé. peut être qu'une panne de chauffage a causé une fuite de monoxyde de carbone et que ce sont les derniers instants conscients que tu vis avant de t'effondrer et ne plus jamais te réveiller. mais tes yeux n'ont pas une envie irrésistible de se fermer, ton cœur n'a pas encore envie de s'arrêter. pourtant, il se fait douloureusement remarquer quand cette foutue chaise tourne sur elle même dans ton dos.

un regard noir vers la fenêtre, puis un autre vers la clim, comme si le problème venait de là. tu penses à tout ces gens que tu n'as jamais pris au sérieux et à qui tu as toujours donné des conseils un peu bancals. tout ceux qu'on a pris pour des fous, heureux d'avoir enfin une oreille attentive alors qu'au fond, tu les regardais de haut et les méprisait assez pour certes les aider, mais en prenant leur pognon. sauf que là, c'est toi, celui qu'on prend pour un fou s'il te prend l'envie de partager cette expérience.

mais tu te dis que toi, tu as un cerveau en état de marche et capable de réfléchir à des hypothèses scientifiques concrètes. peut être que la clim est vraiment défaillante ? nan, tu t'es sûrement levé un peu vite et la chaise a continué de tourner avec l'inertie, c'est tout... eh bien bon courage pour expliquer le cendrier qui se retrouve propulsé dans les airs et retombe au sol comme si de rien n'était. la première chose qui te passe à travers l'esprit, c'est que tu vas devoir repasser l'aspirateur alors que tu l'as fait la veille. et puis le vrai problème avec le fait de voir son cendrier s'envoler t'apparaît alors : non, les cendriers ne volent pas. bien joué, champion.


mais t'es pas sorti de l'auberge, pas encore. tu penses entendre une enfant qui s'excuse et ça te sors un peu du problème que tu as sur les bras, de quoi souffler mentalement, un peu. cette voix... sûrement une gamine dans la rue, mais qu'est-ce qu'elle ferait dans un tel quartier à cette heure ? les parents ne savent vraiment plus éduquer leurs enfants...

─ plus d'éducation, de nos jours...


heureusement que tu peux radoter pour te rassurer et oublier un peu le stress, hein.


sauf quand tu vois la cendre qui se déplace. un soleil. un chat.



là, même en étant le plus grand des sceptiques, tu sens que c'est un peu chaud pour toi de trouver une explication rationnelle. la seule que tu trouves, en fait, c'est d'ouvrir le tiroir du bureau pour attraper une boite de médicaments et avaler à sec une des pilules en espérant ne surtout pas voir un petit cœur ou tout autre dessin dans la cendre. ta mère avait raison en s'inquiétant de ta santé mentale en entendant parler de ton nouveau boulot. la seule chose qui te reste à faire... c'est de voir si tes attrape-nigauds marchent vraiment.

la sauge, c'est réputé pour purifier les esprits. personnellement, tu trouves que ça pue, mais on sait jamais. tu récupères prudemment ton cendrier, le repose sur le bureau et y dépose un bâtonnent d'encens à la sauge blanche que tu viens d'allumer. tu tenterais bien une des formules bidons que tu récites pour épater la galerie mais tu te sens déjà un peu ridicule en parlant tout seul, alors ce genre de bêtises...