La fée sous l'océan

Dans ce monde, j'attends perpétuellement. Depuis le jour où tout est devenu noir, j'attends. Qui étais-je? Que faisais-je? Il m'est impossible de savoir. Je sais que je suis mort mais je ne sais plus quand exactement, je sais juste qu'elle n'était pas naturelle. Depuis, j'attends. Je me souviens difficilement de ma vie passée, je ne sais pas ce qui me retient ici mais j'attends, peut être de me souvenir? Dans ce purgatoire, j'aire en attendant. Je me mélange aux vivants, parfois, je leur adresse la parole ou tente d’interagir avec eux comme je peux. Il faut bien tuer le temps.
Aujourd'hui est un jour comme les autres. J'ai décidé d'attendre dans cet aquarium, me mélangeant aux vivants, peut être pour me rapprocher d'eux? Ou peut être pour voir ce que j'ai pu oublier ici... Suis-je déjà venu dans ce lieu? Je ne ressens rien, aucun bourdonnement dans mes oreilles. Je me sens vide et lorsque je m'attarde comme maintenant sur l'immensité des bassins, que je noies mon regard dans ces eaux et me sens petit.
Mon regard se détourne de ce qui me semble être un vide immense pour enfin m'attarder sur les visiteurs. La marée humaine est tout aussi fascinante. Lorsque l'on prend du recule, que l'on sait que nous n'appartenons pas à cet espèce ou du moins, que nous n'appartenons plus à cet espèce, on les trouve tout aussi exotique que les animaux marins piégés dans cet aquarium. Sont-il aussi fasciné par ces êtres? Ne trouvent-ils pas qu'ils sont fascinants? Chaque jour, le spectacle se répète aussi pour eux, les badauds avec leurs appareils photo, les enfants qui viennent coller leur visage sur l'épaisse vitre, les bruits ambiants qui contraste avec le calme et la sérénité qu'impose leur lieu de vie. J'en soupire d'ennuie. Ce lieu commence à m'ennuyer, rien ne se passe. C'est alors que je prend la décision de partir, me mêlant à la marée humaine pour l'engouffrer dans ce que j'ai détesté précédemment: un couloir assez étroit pour qu'un vivant me passe au travers. Cela ne manque pas. Cette fois-ci c'est une femme. Je me tourne vers elle en colère. "Fais gaffe où t'mets les pieds, Connasse!" Hurle-je après elle, comme si elle pouvait m'entendre...

Depuis que j'étais dans cet état, rien ne m'énervait plus qu'un vivant qui osait me passer au travers comme maintenant. Ce n'était pas spécialement douloureux cependant, la sensation n'était pas des plus agréable tout de même. Rentrer dans un corps comme ça me rappelait une chose à laquelle je me doutais avoir goûté. En vu de mon âge, de ce que je pouvais avoir parfois comme idée, et bien que je ne me souvienne d'aucun visage, je pense qu'il y avait quelqu'un. Pour moi, cet acte n'est donc pas anodin. Certes, passer au travers d'autres matières peut revenir au même mais à ma connaissance je n'ai jamais été un animal ni un végétal et encore moins une vitre ou un mur. Ce n'est pas pareil. Les nerfs à présent à vif, je la fusille du regard. Si seulement cet état pouvait m'apporter quelque chose en plus... par exemple le pouvoir de maudire les gens, je ne me serai alors pas privé de maudire cette greluche et sa progéniture.
A peine j'eus prononcé ces quelques mot que je sursaute. Un petit être comme moi descend tel un ange du plafond. Depuis quand est-elle là? Je la regarde les yeux ronds. Elle semble jeune. Un jeune être à qui la vie a dû être arraché beaucoup trop vite. Cette pensée en devient douloureuse et je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine. Pauvre petite chose, a-t-elle eu mal? Je me penche vers l'enfant, pose un genou à terre puis ma main droite sur ses cheveux pour la décoiffer. "Tu as raison, pardon." C'est fou! L'enfant semble m'avoir calmé! Je regarde à gauche puis à droite. "Tes parents ne sont pas avec toi?" Sait-on jamais après tout! Il se peut qu'un tragique accident les ait au moins réuni dans la mort... du moins je l'espère pour elle. Pauvre enfant... Pourquoi ai-je le cœur serré? Pourquoi suis-je en train de m'inquiéter? Je ne vois aucun spectre autre que nous à l'horizon, me faisant redouter sa réponse. "Il n'y a pas de boite à politesse ici, et je ne peux pas non plus y mettre de bonbon." Triste malédiction. Précédemment j'avais voulu maudire la jeune femme mais en y repensant, c'est nous qui sommes maudit à attendre indéfiniment ici que quelque chose se passe. Drôle de purgatoire.