ding dong * ether le vénère

tu es contrarié.

tu te tiens dans l'entrée d'un immeuble depuis 2 minutes en fixant les boîtes aux lettres d'un air contrit. et ce n'est pas à cause du froid glacial qui transperce ta chemise et ton manteau, ni même à cause des lettres qui se troublent sur les prospectus que tu tiens car tu refuse de mettre tes lunettes. non, c'est bien plus grave, car il s'agit là de ton moyen de subsistance : ton agence. tu as besoin d'avoir des clients pour vivre, et pour avoir des clients, il faut activement appâter le chaland. déposer sa carte de visite dans les restaurants, ça ne suffit pas, évidemment.

c'est pour ça que tu tiens de magnifiques tracts en papier glacé avec ton nom, l'adresse de l'agence et de courts textes vantant tes qualités et tes compétences imaginaires, et dieu sait que ça coûte cher l'encre d'imprimante, alors il faut les rentabiliser, ces bouts de papier. donc quand tu vois qu'il y a déjà 3 tracts à toi qui dépassent de la même boîte aux lettres... ça ne va pas. tu les reprends pour les réutiliser (on ne se refait pas) et tu décides de mettre cette histoire au clair. est-ce juste un appartement inoccupé ? ou au contraire un récalcitrant qui ose ne pas regarder ces petits bijoux publicitaires ?


tu montes les marches quatre à quatre jusqu'à la porte du fameux malpoli absent. avant de sonner, tu reprends ton souffle car tu n'es plus tout jeune, puis tu affiches ton plus beau sourire commercial.


toc, toc, toc.

─ bonjour !

tu hésites, est-ce qu'il faut se présenter ? mais tu commences à être rodé quand il s'agit de porte à porte, et tu sais à quel point les gens ont tendance à faire le mort quand ils n'ont pas envie d'ouvrir, alors il vaut mieux les forcer à ouvrir pour ensuite raconter ce que tu viens faire là avec ton odeur de tabac bon marché et ton visage trop clean pour être honnête.

allez, réponds, dépêche, j'ai pas que ça à faire, moi...

Plus grand chose à dire. C'est un constat. Malgré l'air glacial contre sa nuque et la force invisible qui fait tout tomber près de lui et qui ouvre ou ferme des portes au hasard, pas grand chose. Ce n'est pas qu'Ether s'en plaint, bien au contraire, ça le satisfait et le rassure. Mais ce n'est pas pour autant qu'il se sent complètement en sécurité. Ok, peut-être qu'il est en train de devenir paranoïaque. Mais il ne peut pas faire autrement, il sait qu'un esprit est à ses trousses. Pour le meilleur, comme pour le pire. Il espère quand même que ce soit qu'Umbra. Juste Umbra. "Juste" Umbra, haha. Ce n'est pas une bonne chose que sa mère le hante, quand même. Ce n'est pas très sain, effectivement. Peut-être que depuis le début ce n'est pas du tout elle qui le suit. Est-ce que quelqu'un le suit, au moins ? Ou est-ce que son esprit est complètement en train de partir dans le fossé ? Ou alors il y a vraiment un fantôme. Un inconnu. Qui le suit. Depuis des semaines et des semaines. Il n'est pas fou, il voit comment Cyan le regarde. Il ne sait pas ce que Cyan voit. Il ne sait même pas si Cyan voit quoi que ce soit. Mais Ether était loin d'être rassuré, et ça doit se voir.

Maintenant qu'il ne travaille plus, il sort rarement de chez lui. Il s'est reclu dans son appartement secondaire, à l'Octant. Enfin, c'est l'appartement familial. Mais c'est le sien désormais. C'est cet appartement qui a vu Umbra mourir. Pour ne rien arranger, évidemment. Comment aurait-il pu être serein alors que rien n'avait changé ? Alors qu'il pouvait parfaitement se remémorer où il avait trouvé le corps de sa mère ? Alors qu'il pouvait se souvenir avec exactitude comment elle était habillée, à quoi elle ressemblait, la grimace douloureuse dans laquelle son visage était déformée. Ses yeux vides et le sang, le sang partout. Putain. Il est en train de devenir complètement taré.

Et au même moment on toque à la porte. Il peut deviner au bruit que ce n'est pas Althéo, qui de toutes façons entre sans même toquer, cette petite peste. Cyan préfère sonner, un seul coup. Circée frappe à la porte de toutes ses forces, Léthé toque deux petits coups. Lavio ouvrait la porte d'un coup de pied, de son vivant. Mais là, c'est trois coups, trois coups d'une main qu'il ne connaît pas. Ether est aux aguets et en même temps il s'en branle un peu. Il se redresse, passe ses mains dans les poches de son pantalon de jogging, et ne prend même pas le temps de mettre ses lunettes ou ses lentilles avant d'aller ouvrir. Clairement, il n'aurait pas pu plus s'en battre les couilles. Il ouvre la porte. Et tombe sur un homme qu'il n'a jamais vu auparavant mais il ne sait pas pourquoi, ce type il ne le sent pas. Ether hausse un sourcil, son éternelle moue mi-dédaigneuse mi-boudeuse inscrite sur son visage. Papi Jugement le retour, en somme. Qu'est-ce que c'est que ce gars-là. Tiré à quatre épingles mais pas trop, juste assez pour mettre en confiance les petites vieilles quoi. C'est quoi, un témoin de Jéhovah ? Ou il va tenter de lui vendre des appareils électro-ménagers ? Il se retient de refermer la porte aussi sec.

Vous voulez quoi ?

Il croise les bras, comme si ça pouvait lui donner plus de prestance. Meh, ça ne fait pas vraiment son petit effet, enfin il suppose.

Si c'est pour me vendre des aspirateurs, ça ira, merci.

dès que la porte s'ouvre, tu te tiens prêt, le pied droit légèrement décollé du sol, prêt à le coincer dans la porte si jamais on te la claquait au nez. bon, ça fait un peu mal, mais ça a parfois permis de gagner des clients, alors ça vaut le coup. heureusement pour ton bien être, l'occupant de l'appartement n'a pas décidé de le faire, alors tu te permets même de lacher un petit soupir de soulagement en te disant que tu n'as vraiment pas perdu ton temps : il y a quelqu'un et il veut presque t'écouter si on fait abstraction de son air dérangé et de son ton plus sec que n'importe quelle porte fermée sur tes orteils.

il fait à peine 5 centimètres de plus que toi et a surement la moitié de ton âge mais il croise les bras et se comporte comme s'il était lui, ce petit insolent qui n'a jamais appris le resp- ah, il est chez lui, c'est vrai. les ados levés du pied gauche et blasés, c'est toujours dur à convaincre, alors tu essayes de jauger ce qui pourrait l'intéresser. il est trop mignon pour lui parler de problèmes de relation, trop jeune pour parler d'arthrite, qu'est-ce qui pourrait bien ruiner sa vie ? tu dois répondre vite quelque chose alors tu enfiles ton meilleur sourire et pars sur quelque chose d'assez vague pour continuer la conversation le temps de le cerner un peu plus :

─ rien d'tout ça, voyons! nan, si je suis là, c'est que j'ai senti quelque chose en entrant dans cet immeuble... vous m'avez l'air troublé, non ?

le temps qu'il maugrée sa réponse, tu cherches, tu étudies, tu ne le lâches plus des yeux, au point que son visage et sa silhouette te semble familiers. à moins que tu l'ai vraiment déjà vu quelque part ? tu réfléchis trop pour garder ton air jovial et commercial mais tu sens qu'il y a là un mystère à résoudre. est-ce que tu l'as vraiment déjà vu ou est-ce que tu as juste vu quelqu'un qui lui ressemble ? c'est dur à dire, honnêtement, de nos jours les jeunes se ressemblent tous, avec la mode ils finissent par tous avoir le même style et la même coiffure et la même carrure... peut être qu'en entendant un peu plus sa voix, tu arriveras mieux à le situer, plutôt que de ronchonner sur les ados comme un grand père de mauvaise humeur.

─ quelque chose semble vous tracassez, mais j'ai peut être la solution, qui sait ?

Ether était blasé d'avance. C'était quoi ce mec. Il allait définitivement lui vendre des aspirateurs, c'était pas possible. Ce n'était pas comme s'il avait d'autres choses à faire - ok, pour l'instant il n'avait strictement rien à faire et errait comme un fantôme dans son appartement. Comme s'il avait besoin d'autres fantômes que de celui de sa mère. Ether poussa un soupir avant de décroiser les bras pour fouiller dans ses poches et s'allumer une cigarette, parce que sinon il allait définitivement perdre son calme et péter un plomb. Au moins il avait la confirmation que les patchs à la nicotine vendus à la pharmacie à l'autre bout de la rue ne fonctionnaient absolument pas.

J'suis pas tracassé.

Pas tracassé ? Il avait l'air de vouloir se jeter d'un pont, tu m'étonnes qu'il avait pas l'air tracassé. Des cernes de trente kilomètres, des mains aux phalanges écorchées qui tremblaient et son air dépressif naturel, il avait l'air tout sauf tracassé, évidemment. Il n'était pas du genre non plus à déballer ses secrets sur son palier, ç'aurait été juste inconscient de faire ça, surtout juste après avoir raccroché. On lui avait déjà demandé des centaines de fois pourquoi il voulait arrêter sa carrière, et qu'est-ce qui lui persuadait que le guignol en face de lui était pas un paparazzi sous couverture ou une connerie du genre ? Il l'observait de la tête aux pieds, essayant de repérer une caméra qui aurait pu être cachée - il commençait à avoir l'oeil pour ce genre de choses. Mais visiblement il n'y avait rien. Il leva les yeux, observant la fumée de sa cigarette se rependre tranquillement dans l'air. Il allait activer l'alarme incendie avec ses conneries.

Vendez moi vos trucs, et partez d'ici.

Il n'allait rien acheter -il était pas fou- mais au moins le mec serait pas venu pour rien quoi. Ether haussa les épaules, faisant un pas en arrière.

'Fin vous avez sûrement pas mon temps.

le jeune ne semble pas se laisser démonter par tes regards insistants. au contraire, il se met encore plus à l'aise et s'allume une cigarette. il s'est vraiment cru chez mémé c'est pas possible autrement. et puis fumer à son âge, c'est vraiment pas sain, il va finir vieux et abîmé comme toi, le genre qui tousse et s'essouffle dès qu'il monte 3 étages. et qui habite au 7e. instinctivement, ça te fais froncer les sourcils. certes, ça te fais toujours du bien, de sentir la fumée habituelle du tabac, ça soulage toujours un peu même si elle n'emplit pas autant tes poumons, mais quelque chose cloche dans ce que tu vois. tu ne le connais ni d'eve ni d'adam, ce gosse, malgré cette impression tenace de l'avoir déjà croisé, mais tu te sens soudain investi par quelque chose qui te dépasse et te pousse à se mêler à ses affaires, comme ces vieux qui discutent avec n'importe qui aux arrêts de bus. ce n'est certainement pas ton fils mais tu te sens responsable de lui, c'est plus fort que toi. le pire, pour n'importe quel jeune, serait de finir comme toi, alors tant pis si ce ne sont pas tes affaires, tu te dois de t'en mêler.

─ j'ai du mal à croire que rien ne te tracasse si tu fumes à ton âge... je sais que je passe pour un vieux con qui radote mais c'est vraiment mauvais, tu sais.

sur ta lancée, tu croises les bras et t'adosse au cadre de la porte. tu prends vraiment la confiance, tu le sais ?

─ et je sais de quoi je parle, j'ai commencé à 17 ans et regarde où j'en suis maintenant. je n'ose même plus aller chez le docteur quand il me parle de faire des radios des poumons... et si je claque, qui s'occupera de mon chat ? nan, c'est pas un bon plan, tu sais. tu devrais l'éteindre là.

tu finis par te rappeler que tu n'es pas venu là pour faire des leçons de morale mais pour proposer tes services, sauf que rien ne te viens, ton esprit est monopolisé par ton inquiétude pour le futur de ce pauvre jeune qui s'empoisonne tout seul dans son appartement et qui ne relève pas très souvent le courrier. en plus, il a vraiment la tête de quelqu'un de fatigué. tu peux pas le laisser comme ça.

─ j'suis pas là pour vendre des trucs, je viens juste proposer mes talents de médium, mais je crois surtout que tu as besoin de quelques conseils, p'tit gars.

sans vraiment le vouloir ou t'en rendre comptes, tu lui fais la leçon et ça te fait un peu grincer des dents en pensant à tes propres vieux. alors tu essaye de rattraper le coup avec un peu d'humour. ton sourire n'est plus aussi clean et professionnel qu'avant, au contraire, on sent juste que tu fais des blagues nulles et que tu en es très fier.

─ si t'es contre le gaspillage, je peux la finir pour toi, mes poumons sont déjà foutus, les tiens ont peut être une chance de s'en sortir ?

Et voilà que le vieux lui racontait sa vie. Pitié. Ether eut un moment de silence où il hésita à reculer jusque dans son appartement et refermer la porte mais y avait des chances que l'autre homme le retienne avec une technique genre mettre son pied dans l'entrebâillement de la porte et clairement c'était la meilleure façon de la péter, vu comment elle était déjà à moitié sortie de ses gonds. Donc non, il se faisait chier à supporter son blabla qui dura pendant bien cinq minutes. Bordel. Même pendant un mois complet, Ether parlait pas autant. Il haussa un sourcil, blasé, avant de tapoter la plaque sur sa porte où était inscrit son nom. Clairement ça faisait un peu pompeux mais il s'en contrebalançait le poireau, si vous voulez mon avis.

Ancien acteur. Aucune raison d'être tracassé.

Il était passé au niveau 34 de sass au moins. Il esquissa un sourire moqueur, avant de tirer une taffe et de recroiser les bras. Il avait trop de mal à se passer de la cigarette de toutes façons, malgré de nombreuses combines toutes plus absurdes les unes que les autres - et malgré les nombreuses boites de chewing-gum qu'il avait acheté en tentant de s'occuper la bouche, finalement.

J'ai bientôt trente piges, je sais m'occuper de moi-même, merci.

Ce mec avait la même façon de lui faire la morale que Lethé, ce qui avait le don de l'agacer encore plus que d'ordinaire. Il eut un moment d'hésitation avant de sortir son paquet de cigarettes de sa poche pour lui en tendre une. Visiblement il était plutôt miséricordieux, aujourd'hui.

Z'êtes un vrai médium ou vous êtes juste un arnaqueur ? Honnêtement.

tu dépensais toute cette énergie et gaspillais toute cette salive pour le bien être de ce jeune désœuvré, mais ça ne semblait pas vraiment marcher. bon, tu ne t'attendais pas à ce qu'il jette sa cigarette puis lève les mains au ciel en criant "je suis guéri !", mais un peu d'écoute attentionnée n'aurait pas fait de mal non plus, plutôt que de te laisser radoter dans le vide. il lui apporta tout de même une information de taille : son identité. au début, tu voulu demander en riant si il était censé être quelqu'un de connu car tu croyais qu'il te faisait une blague ou qu'il se prenait pour une semi célébrité mais merde c'est un type connu, en fait. tu n'avais plus entendu ou lu ce nom depuis quelque années mais en réfléchissant quelques secondes, tu repensa directement au film devant lequel tu t'étais endormi il y avait quelques jours à peine, un film dans lequel il jouait. c'est pour ça qu'il te disait quelque chose ! ... il a pas l'air aussi bien que lors de ses anciens passages à la télé, par contre. peut être juste qu'on lui maquillait les cernes, mais là, elles ressortent plus que jamais.

en tout cas, type connu ou pas, ton discours passionné et plein de bon sens n'a pas vraiment marché. au contraire, tu as presque l'impression qu'il se fiche de toi, lorsqu'il tire à nouveau sur sa cigarette en ignorant tout tes sages avertissements. bon, au moins, on lui a appris à partager, il n'est pas totalement foutu, la nouvelle génération n'est pas entièrement condamnée. il te l'a dit, il n'est pas si jeune que ça, mais il fait tout de même un peu vulnérable, comme ça chez lui, et la faible différence d'âge ne t'a jamais empêché de faire la morale à qui que ce soit, bien au contraire. un de tes frères a un âge proche du sien, et ça te ferait mal de savoir qu'il fume, même si c'est probablement le cas, alors tu continues dans ta croisade bienveillante.

─ ouais, t'as vachement l'air de pouvoir t'occuper de toi, là, avec ta dégaine de gars qui a pas vu la lumière du jour ou un vrai lit dans les 3 dernières semaines.

tu attrapes la cigarette tendue et l'allume d'un geste fluide et rapide car pratiqué des milliards de fois. c'est pas ta marque préférée, mais ça fait quand même vraiment du bien. tu penses à toute la marche qu'il faudra faire pour rentrer à ton bureau après, mais tant pis, autant se faire un peu plaisir quand on peut, alors tu laisses la fumée emplir doucement tes poumons et tu remercies ton quasi-hôte d'un hochement de tête.

évidemment, il te demande si tu es un vrai médium, tout le monde la pose à un moment, cette question, même lorsqu'ils viennent eux même te voir à ton bureau, avec une grande plaque annonçant "JIN-HO CHO - MEDIUM" vissée dessus. par habitude, tu réponds du tac au tac, une réponse presque croyable tellement elle sors vite. pratiquée des milliards de fois aussi.

─ tu veux la vrai réponse, mon petit ? bien sûr. sinon je me ferais pas chier à me taper tous les quartiers riches alors que vous jetez mes prospectus une fois sur deux, ça demande un peu de passion.

... gros menteur. déjà qu'il ne te porte pas dans son cœur, tu ne t'aides pas. ça te fait un peu mal d'avouer être un gros charlatan, mais ça te ferait plus mal de briser le lien en train de se former avec ce gars que tu prendrais presque pour un de tes frangins et qui t'évoque la même envie de s'occuper de lui. oui, bon, faut pas être exigeant pour dire que ne pas se faire claquer la porte dessus et se faire offrir une clope, c'est un lien, mais tu n'as jamais eu des standards très hauts, regarde tes anciennes copines.

tu inspire une nouvelle bouffée de tabac et expire lentement en répondant la vérité.

─ ... c'est pas vrai. mais bon, c'est un gagne pain comme un autre. presque comme endosser le rôle de quelqu'un d'autre devant une caméra, nan ? mais je le fais dans un bureau mal rangé.